Je l’ai lu d’une traite, c’est Gulhumar, la fille de Gulbahar, qui fait partie de notre petite communauté MBDF, qui m’a envoyé le livre de sa mère quand il est sorti.
Tout le monde aujourd’hui connaît le terrible sort des Ouïghours dans le Xinjiang (nord-ouest de la Chine), où le régime chinois s’applique depuis de nombreuses années à les exterminer, eux, leur religion, leur culture, leur identité. C’est un génocide en bonne et due forme, et un crime contre l’humanité.
De quoi les accuse le régime chinois ? D’être des terroristes (les Ouïghours sont une minorité musulmane), ce qui est évidemment complètement faux. Le but réel est leur destruction et la sinisation de cette région très importante sur le plan stratégique pour les échanges commerciaux avec l’Europe.
Gulbahar raconte comment, vivant en France depuis 10 ans avec son mari et ses deux filles, elle est retournée au Xinjiang sous l’insistance des autorités à lui faire signer des papiers administratifs. Elle y était allée les année précédentes en famille pour les vacances et n’avait pas rencontré de problèmes.
Partie pour 2 semaines, elle est y restée presque 3 ans, dans un camp de concentration chinois. Lequel a pour vocation de « rééduquer » (= laver le cerveau) les populations ouïghoures – et à les tuer lorsqu’elles ne coopèrent pas. On sait aujourd’hui qu’il y a de très nombreux camps, qui rassemblent environ 1 million de prisonniers Ouïghours.
Gulbahar a été accusée de terrorisme pendant 3 ans (elle n’a même jamais participé à une manifestation de sa vie, la politique ne l’intéressait pas). Elle a vécu à peine traitée comme un être humain et privée de tout avec ses co-détenues pendant tout ce temps, subissant des interrogatoires ininterromus en plus de la propagande chinoise 11h par jour, 7 jours sur 7, la stérilisation forcée par injections, et se voyant régulièrement demander de faire son auto-critique et d’avouer ses crimes (fictifs, bien sûr). Elle a fini par le faire, brisée, quand ils lui ont fait miroiter sa liberté en échange.
Ce que j’ai trouvé le plus terrible, en plus bien sûr des traitements inhumains et du fait qu’ils ont fini par réussir à la briser (temporairement en tout cas), c’est que, comme elle le dit à la fin, la Chine a gagné.
Ils ont « échangé » sa remise en liberté contre une pression sur sa famille pour qu’elle ne s’engage plus jamais dans aucune action pour les Ouïhgours (son mari et sa fille aînée sont très actifs), et elle a senti quand elle a enfin pu rentrer à Paris (Gulhumar a travaillé sans relâche pour ça avec le Quai d’Orsay), que certaines personnes de sa communauté se méfiaient d’elle (« si elle a été libérée, c’est peut-être qu’elle a collaboré ?… »).
C’est d’autant plus courageux de la part de Gulbahar d’avoir signé le livre de son nom, sachant à quel point ça peut menacer sa famille sur place.
Elle sait que sa mère, ses deux sœurs et leurs enfants restées au Xinjiang, ne seront plus jamais en sécurité (l’un de ses neveux adolescent a été torturé au moment de sa libération) ; plus personne parmi eux ne pourra plus jamais rien dire, rien dénoncer. Et c’est comme ça dans la plupart des familles concernées (avec 1 million de prisonniers, elles sont nombreuses…).
La communauté internationale commence vaguement à hausser les sourcils, rares sont ceux qui osent s’opposer à la toute puissante Chine et aux gigantesques intérêts commerciaux en jeu.
Merci Gulbahar pour avoir eu le courage de revivre tout ça en l’écrivant, et de le faire sous votre nom ; et à toi Gulhumar pour m’avoir envoyé le livre de ta mère et l’avoir si fort aidée à sortir du Xinjiang. Vous êtes des femmes remarquables.
Rescapée du goulag chinois, par Gulbahar Haitiwaji et Rozenn Morgat
26 commentaires
Bonjour Hélène, je suis très touchée par cet avis littéraire car je m’intéresse depuis plusieurs années aux problèmes posés par les Chinois aux Tibétains ainsi que par les camps de concentration qui ont sévit au Cambodge pendant des décennies. Honteusement le cas de cette minorité m’est très peu familière mais je compte acheter ce livre et donc en apprendre bien plus. Les autobiographies de ce genre sont bouleversantes de par leur authenticité. Bravo à Gulbahar d’avoir survécu et trouvé la force de témoigner envers et contre tout. Il serait temps que les autorités internationales et l’ONU se réveillent. À quand des sanctions internationales dignes de ce qui se passe en Chine???
Bonjour Hélène,
J’ai acheté ce livre suite à ta toute première story quand tu l’as reçu, je l’ai dévoré… son courage m’a beaucoup ému, son témoignage m’a bouleversé !
Merci de m’avoir permise de découvrir ce livre, j’espère que son témoignage permettra de faire bouger les choses ! Ce n’est pas possible de voir ça au 21ème siècle :(
Clémentine : Aurélie : je suis contente si ça donne envie de lire ce livre et d’en savoir plus sur ce sujet.
Une lecture certainement difficile émotionnellement mais un témoignage important pour comprendre la dure réalité et les mensonges du gouvernement chinois. Merci au courage de l’autrice et merci à toi Hélène pour le billet. Je me procurerai le livre dès que possible. Je crois que la République populaire de Chine bafoue également les droits de l’Homme au Tibet (je ne connais pas bien tout ça, excusez mon inculture). Alors, je me demandais pourquoi il n’y avait pas davantage de sanctions à l’encontre de ce terrible gouvernement mais je crois que tu as tout résumé si je peux te citer ” La communauté internationale commence vaguement à hausser les sourcils, rares sont ceux qui osent s’opposer à la toute puissante Chine et aux gigantesques intérêts commerciaux en jeu ”
Adrien.
Bonjour à tous,
A notre niveau, nous pouvons agir et participer au boycott des 83 marques dont il a été vérifié qu’elles faisaient travailler des ouigours en mode travail forcé ; sur 83 marques, une cinquantaine sont des marques de vêtements, logique la Chine est le premier producteur de coton au monde, avec 20% des articles en coton produits dans le monde issus de la région du Xinjiang. On a donc tous eu au moins un article selon ces statistiques (2020) issu du travail forcé. Merci pour ce magnifique témoignage de lecture, l’information est très précieuse et c’est une belle initiative que la partager sur le blog.
Après avoir vécu malgré tout de belles années en Chine, je n’y retournerai jamais.
Belle journée
Adrien : oui le Tibet a été envahi par la Chine en 1956 et elle s’applique depuis à détruire sa culture, sa langue, son identité. Le Dalaï Lama vit en exil en Inde depuis de nombreuses années (https://www.monblogdefille.com/blog/tibet-libre%e2%80%a6-si-seulement%e2%80%a6/).
Manole : en effet on peut boycotter des marques (en tête de liste pour ceux qui ne sauraient pas trop : les marques de sport et Zara); quant à sourcer puis boycotter le coton lui-même, c’est malheureusement très difficile.
Avant j’avais envie d’aller en Chine parce qu’il y a des paysages sublimes et que la culture a l’air fascinante (la vraie culture traditionnelle, j’entends, évidemment pas la culture communiste).
Aujourd’hui cette envie m’est bien passée (de toute façon je n’obtiendrais pas de visa après un article comme celui-ci, déjà que mon blog était bloqué en Chine sur internet depuis que j’avais parlé du Tibet en 2008).
C’est édifiant et d’une cruauté sans nom. Merci de mettre en lumière ce nouvel épisode sombre de la république chinoise qui ne mérite pas un grand R…
Je le lirai.
Il n’y a pas de mots pour décrire ce que peuvent vivre ces êtres.
Parmi les récits chinois que j’ai pu lire, j’ai été particulièrement marquée par Vents Amers, de Harry Wu. Un homme qui a simplement osé critiquer le régime communiste, et a passé pour cela plus de 15 ans dans un loagai… Ce livre explique sans fard les techniques employées pour briser ces hommes et ces femmes, jour après jour. La gageure, pour Harry Wu, fut de survivre tout en gardant au maximum sa capacité de réflexion et son humanité… Si vous trouvez cet ouvrage, je le recommande grandement.
Malheureusement, 60 ans après, les choses n’ont pas changé en Chine, et c’est terrible. Gulhumar est en effet très courageuse de signer ce livre de son nom. Merci à elle.
Seshathot : quand il y a les mots “république démocratique” dans le nom d’un pays, c’est rarement bon signe.
kojo-no-maï : non les choses n’ont pas changé, au contraire ils ont élargi l’éventail des victimes…
Il faut que j’aille acheter ce livre chez mes libraires préférées, c’est tellement important de savoir, et de soutenir les Ouïgours de cette manière-là, en plus d’essayer d’éviter d’acheter des produits chez des maisons utilisant le fruit de leur travail forcé.
C’est vrai que l’on se sent très démuni face à cette situation, mais chaque fois que nous en parlons, échangeons sur ce sujet et faisons un choix conscient de consommation, nous ajoutons une goutte dans la mer de résistance et opposition. Sans doute ne gagnerons-nous pas, mais nous n’aurons pas cédé. Merci pour ce partage Hélène ♥
Miss Nahn : “Sans doute ne gagnerons-nous pas, mais nous n’aurons pas cédé” : tu as tout résumé…
Merci pour ton retour sur le livre, il faut que je l’achète. C’est vraiment terrible, écœurant….bravo à cette femme et à sa famille pour ce courageux témoignage.
Bonjour Hélène
Comment de telles atrocités peuvent-elles encore exister ?
Il y a quelques jours j ai entendu la fin d une émission radio avec Robert Hebras, le dernier survivant du massacre d’oradour sur glane dans le 87. C est ce qui le rend très malheureux, de voir que l homme n’a pas tiré de leçons des horreurs de la seconde guerre mondiale et que ça continue dans le monde.
Belette : oui c’est très courageux !
Sandrine : les horreurs ont eu lieu tout au long de l’histoire de l’humanité, et honnêtement je ne crois pas que ça puisse cesser parce que ça fait profondément partie de beaucoup d’êtres humains (j’ai un regard assez négatif sur l’être humain en général, je crois que les bonnes personnes sont rares).
Coucou Hélène,
c’est épouvantable de se dire que l’homme ne retient jamais les leçons du passé….ce n’est pas si lointain.
J’avais vu le reportage remarquable diffusé sur arte il y a quelques temps et le livre me donne très envie donc merci de nous l’avoir partagé.
Je suis tellement admirative !
Merci d’évoquer cette histoire, j’y suis très sensible.
Merci beaucoup pour le partage Hélène .
J’ai lu le livre c’est tellement incroyable que de telles choses puissent se passer dans l’impunité totale . Quelle courage a cette femme.
Son récit m’a fait perdre foi en une bonne partie de l’humanité je dois avouer … C’est juste immonde et inhumain ça me révolte…
Merci beaucoup d’en parler Hélène , à ton échelle tu fais énormément déjà en relayant notamment cette lecture !
Il est aussi bon de rappeler les noms des 83 marques mondiales profitant de ce scandale humanitaire:
Abercrombie & Fitch, Acer, Adidas, Alstom, Amazon, Apple, ASUS, BAIC Motor, BMW, Bombardier, Bosch, BYD, Calvin Klein, Candy, Carter’s, Cerruti 1881, Changan Automobile, Cisco, CRRC, Dell, Electrolux, Fila, Founder Group, GAC Group (automobiles), Gap, Geely Auto, General Motors, Google, Goertek, H&M, Haier, Hart Schaffner Marx, Hisense, Hitachi, HP, HTC, Huawei, iFlyTek, Jack & Jones, Jaguar, Japan Display Inc., L.L.Bean, Lacoste, Land Rover, Lenovo, LG, Li-Ning, Mayor, Meizu, Mercedes-Benz, MG, Microsoft, Mitsubishi, Mitsumi, Nike, Nintendo, Nokia, Oculus, Oppo, Panasonic, Polo Ralph Lauren, Puma, Roewe, SAIC Motor, Samsung, SGMW, Sharp, Siemens, Skechers, Sony, TDK, Tommy Hilfiger, Toshiba, Tsinghua Tongfang, Uniqlo, Victoria’s Secret, Vivo, Volkswagen, Xiaomi, Zara, Zegna, ZTE.
“Acheter, c’est voter”… et dans ce cas là, c’est même… violenter et tuer.
jicky : merci beaucoup de nous avoir mis la liste (il me semblait que le groupe H&M, sous la pression, s’était engagé récemment à ne plus avoir recours à ces usines ? Je peux me tromper hein – et de toute façon il reste les 82 autres).
jicky : Merci pour cette liste déjà exhaustive… Pour Uniqlo je suis profondément déçue, moi qui aime bien cette enseigne… Je serai plus vigilante du coup même si pour Amazon, Google et Microsoft cela me semble très difficile de faire l’impasse… C’est ce qui est le plus choquant : nous sommes otages d’un système sans foi ni loi !
Hélène : Double post aujourd’hui, désolée ^^ mais je me pose une question (qui a sans doute sa réponse dans le livre) : Gulbahar est-elle citoyenne française ? Si oui, comment cela se fait-il que les autorités françaises ne soient pas intervenues ?
Bonjour Hélène,
Merci pour le lien vers ton article de 2008. J’ai pu me renseigner sur le comportement intolérable de la Chine envers le Tibet.
Merci également à Jicky pour la liste des entreprises; c’est désolant de constater comme ces dernières couvrent un panel de services différents; des vêtements, voitures, jeux vidéos, produits de beauté, électroménager etc.
Clémentine : oui, c’est ça le capitalisme mondial…
Et non, Gulbahar a un statut tout à fait légal en France (je ne sais plus lequel – son mari a la statut de réfugié politique) mais pas de passeport français.
Adrien : oui c’est très difficile d’y échapper en tant que consommateur…
Merci pour le partage, je suis impressionnée par Gulbahar qui a encore la force et le courage de témoigner.
Merci a Jicky pour la liste des marques , c’est très choquant, je vais les boycotter, j’avais déjà commencé avec Amazon et je résiste.
Merci pour cet article salutaire.
Je me sens bien impuissante en tant que simple citoyenne française sans pouvoir, je pense qu’écrire à tous les politiques qui vont se présenter aux prochaines élections pour les interpeller sur le sort des Ouïgours et sur ce qu’ils comptent faire pour arrêter ce génocide est un moyen d’agir à notre échelle.
Duchesne : c’est remarquable de résister, parce que c’est difficile.
isa : je ne suis pas sûre que ça serve vraiment mais au moins on a l’impression de faire quelque chose.