“Je n’ai jamais été particulièrement originale. D’origine maghrébine, avec un physique assez banal, élevée dans un milieu assez aisé, aimant lire, ayant de gros problèmes avec le rangement et une légère tendance à la procrastination. Rien de bien méchant. Pourtant, il y a quelques mois : grosse remise en question. Non pas que ce problème ne m’ai jamais inquiété mais c’était la première fois qu’il venait avec autant de force. Je n’aimais pas les gens. Ce n’était plus une question, un doute ou une tendance, non, c’était un constat. Les gens, dans leur globalité, que ce soit mes amis, ma famille, les garçons. Pour preuve, je n’avais jamais eu de copain. A dix huit ans. Pas un seul. Non pas que l’on ne m’ai jamais dragué mais je fuyais. Toujours. Et cette fuite, je ne la voyais pas. Pensant toujours que le problème ne venait pas de moi mais des autres. “L’enfer, c’est les autres”, disait Sartre. Seulement ici, le véritable enfer, c’était moi. Alors si je ne voulais jamais accompagner mes parents à une réunion de famille, c’était parce que ma grand-mère allait se lamenter. Si je n’avais pas envie d’aller à une soirée avec mes amis, c’était de leur faute, ils étaient énervants avec leurs discussions stupides et futiles. Si je ne voulais pas accompagner ma meilleure amie à un concert, c’est parce que le groupe était mauvais. Oui mais voilà, la réalité est venue pour me toucher. Coulée.
Pourtant, je n’ai jamais eu de difficultés à me sociabiliser. Je sais prendre un ton futile de fille de mon âge et soupirer avec des yeux pleins de malice et un sourire plein d’entrain « raconte comment s’est passé ton rencard ? ». Mais tout cela sonnait faux. Je ne supportais plus leur voix, leurs sourires, leurs mains amicales. Et je m’ennuyais. Je m’ennuyais dans ce monde sans saveur, sans aventures, préférant me réfugier dans mon univers de prédilection : les livres. Oui car dans mes livres, la vie me semblait plus belle, les fêtes plus joyeuses, les gens plus intéressants. Toute cette réalité factice me faisait paraître mon quotidien amer. Parce que je n’aimais pas les gens. Ou plutôt, je n’aimais pas les gens, dès que je les connaissais un peu. Parce que tant que je ne les connaissais pas, tout restait possible ! Je pouvais leur imaginer un caractère digne d’un héros de Shakespeare. Mais dès les premières conversations passées, la réalité me revenait avec force brutale : La personne n’avait rien de romanesque. Point. Pire avec les garçons. Dès qu’un garçon commençait à s’approcher de moi, je mettais automatiquement et presque inconsciemment un mécanisme d’auto-défense pour l’empêcher d’entrer dans ma bulle de délire. Car c’était bien la que je vivais, une bulle de délire, dont je ne sortais qu’à contrecœur, rencontrer la réalité fade et amère à coup de sourires factices, pour y retourner ensuite avec joie, le soir venu.
Seulement voilà, quelques mois plus tôt, à première vue, rien d’extraordinaire : une simple soirée pour fêter notre bac. Je décide d’y aller, sachant déjà que je vais dépérir d’ennui mais gardant au fond de moi le léger espoir que, oui, je vais rencontrer le beau prince charmant qui m’emmènera contre vents et marées sur son fier destrier. Ha, ha. Mais voilà, il est là le prince. Pourquoi cette fois ci, quand je lui parle, je ne meurs pas d’ennui ? Pourquoi sa conversation ne me parait pas dénuée d’intérêt ? Pourquoi je n’ai pas l’impression qu’il cherche à briller en société, comme tous les autres ? Aucune idée, puisque, avec du recul, il n’avait vraiment rien pour lui, à part son physique relativement avantageux. Mais pourtant, la magie opère, je me sens toute chose, je lui offre un de mes très rares sourires francs. Et puis il m’embrasse. Là vous vous dites certainement : fin de l’histoire, comme dans les livres, il la emmené sur son beau cheval blanc. Et bien non. Parce qu’après, j’ai fuis. La fin de la soirée arrive, je rentre chez moi, je ne le rappelle pas. Il m’envoie des messages et je lui fais croire que j’ai un copain pour me débarrasser de lui. Pathétique ? Surement. Surtout qu’il me plaisait, il me plaisait vraiment.
Et c’est là que j’ai compris que j’avais vraiment un problème. J’ai décidé d’aller voir un psy pendant les vacances. Rien de bien méchant, quelques séances de psychanalyse. Et je me suis redécouverte. J’ai cherché d’où venaient mes problèmes, pourquoi je n’arrivais jamais à les surmonter. Et à la rentrée de Septembre, j’ai rencontré de nouvelles personnes. Tout n’est pas gagné, après dix-huit années passées dans la fiction, j’ai encore parfois du mal à accepter ma simple condition d’humaine « réelle » et non fictive. Mais petit à petit, pas après pas, j’apprends à reconsidérer mes semblables. Aujourd’hui, je ne fais plus autant de sourires qu’avant, j’ai beaucoup moins d’amis et je vais à beaucoup moins de soirées. Mais aujourd’hui, lorsque je souris, c’est parce que je suis heureuse, lorsque je dis qu’une personne fait partie de mon cercle d’ami, c’est parce que je serais capable de me réveiller à quatre heures du mat’ pour l’écouter et lorsque je vais à une soirée, c’est parce que j’ai vraiment envie de m’amuser. Je n’ai pas reparlé à ce fameux garçon. Mais l’histoire n’est jamais toute tracée. Désormais, j’écris mon propre livre et au jour le jour. Carpe Diem.
Signé : Inès”
19 commentaires
Waouh, quelle maturité !… Si j’ai bien compris, tu as à peine plus de 18 ans ?
Je comprends et connais ce que tu décris ; je suis surtout épatée que tu aies eu cette capacité d’analyse qui t’a menée vers un psy… chapeau.
Et contente surtout de la conclusion, du positif qui termine ce témoignage.
Bonne continuation :-)
Magnifique texte!
Inès, merci d’avoir partagé un petit bout de toi avec nous! Ton texte est magnifque et me touche énormément. Je te souhaite plein de bonheur, mais celui qui se trouve dans les petites choses du quotidien, pas celui des contes de fées ;-)
Très beau texte, très bien écrit. Je ne commente pas des masses mais là je me dois de le faire. Comme les autres commentaires l’ont souligné, tu sembles extrêmement mature.
J’avais un peu le même ressenti que toi quand j’avais ton âge (je n’en ai que 24 , hein), si ce n’est que pour moi c’était les films qui me semblaient toujours plus intéressants que la réalité. Les gens m’y semblaient plus passionnants, plus vrais (paradoxalement), je m’y identifiais davantage que ceux dans la “vraie vie”. Bon j’ai évolué et je me suis rendue compte que la vie est intéressante et riche et les gens qui la peuplent aussi. Néanmoins, je ne suis toujours pas sûre que les films ne soient pas un tout petit mieux que la vie ;-)
Quel joli texte…. Et quelle maturité!!
Avoir le courage de se remettre en question, de se regarder en face, de ne pas éviter… Bravo pour ton honnêteté, continue, avance, tu n’en seras qu’une plus belle personne encore…
Oh mon dieu Inès, je tiens à te dire que ton texte m’a émue aux larmes: j’ai eu l’impression de lire mes pensées en lisant les mots d’une inconnue. Tu ne peux pas savoir à quel point je comprends tout ce que tu ressens. Le fait de se sentir déconnectée, à la marge, dans un autre monde alors qu’on est entourées par une foule, de ne pas avoir les mêmes envies que le commun des mortels, d’avoir l’impression que jamais personne ne nous connaitra et nous comprendra vraiment etc… Je sais que ce tu vis n’est pas facile surtout que tu n’as “que” 18 ans!! Tu fais preuve d’une maturité incroyable…
Moi j’en ai 22 et je suis toujours à me dire que le problème vient des autres et que j’ai raison de ne pas vouloir “me contenter” de discuter de trucs débiles avec des personnes que je n’apprécie pas ou encore de sortir avec des types qui ne me plaisent qu’à moitié.
Il y a quelques années, je suis tombée follement amoureuse d’un garçon qui ne partageait pas mes sentiments: depuis je suis encore plus méfiante envers les personnes que je recontre. Je ne sais pas si un jour je ferai la démarche comme toi d’aller voir un psy. Je me dis que je vais bien tant qu’il y a des gens que j’aime profondément (quelques amies, mon frère, mes parents) dans ma vie…
En tout cas merci encore pour ton texte, je te souhaite une bonne continuation.
quelle délivrance de savoir que je ne suis pas la seule. en lisant ton texte il me semblait l’avoir écrit. Même âge, dans un lycée que je déteste, avec des gens que je déteste, et pourtant j’ai des amis, pourtant je souris je parle bref je fais comme tout le monde. Mais je n’aime pas les gens, je suis tout le temps déprimée(à 18 ans est- ce possible?), en guerre avec moi-même, niant l’amour sans même l’avoir connu et m’attachant encore à mes derniers espoirs d’Amour véritable. un psy? je n’ai jamais osé, peut être le faudra-t-il bien un jour. En fin de lycée, je me relance dans de longues études de lettres, et oui parce que moi aussi je puise ma seule essence à travers les livres qui me permettent d’exister par procuration, et j’ose encore espérer que je rencontrerai de belles personnes et peut être un prince charmant…
à toutes les personnes comme moi, comme nous, à celles familières du bovarysme, cela fait chaud au coeur de savoir que nous ne sommes pas seules au monde
Juste bravo, bravo pour ton récit si bien écrit, bravo pour ta maturité, et bravo pour ta remise en question, bravo bravo bravo …
Ines merci pour ton texte et helene merci de laisser place a tes lectrices, j aime ton blog aussi pour ces petits billets de temps en temps.bonnes fetes a toutes
je ne suis finalement pas la seule à être ainsi, je me suis retrouvée dans ton texte, c’est quelque chose que j’ai vécu il y a quelques temps, et qui me prend souvent, je perds le goût des choses et surtout des gens.. je viens de m’en rendre compte il n’y a pas bien longtemps, pourtant je suis quelqu’un de fou, de joyeux et de sociable
Merci Inès pour ce très joli texte
Nos vies peuvent changer si on accepte de poser un autre regard sur nous-mêmes, un regard franc et lucide, et d’agir en conséquence. BRAVO!
Texte très intéressant….D’où l’importance des remises en question dans la vie, cela permet d’aller au fond des choses, de faire un tri, de mettre en évidence les choses vraies.
La petite Inès pour moi n’est pas “plus seule”, mais plus “vraie”, et cela lui laisse la place pour faire entrer dans sa vie les gens de son choix.
Le tout est de savoir qui on est, et ce que l’on veut.
Également impressionnée par cette maturité qui t’a permis ce recul et cette remise en question si jeune ! On voit tant de gens passer à côté de leur vie pour les mêmes raisons et sans même en avoir conscience.
La vie n’est pas un roman, mais n’oublie jamais que c’est ce qui fait son intérêt : personne n’a écrit la suite ! Il vaut mieux être acteur de sa propre vie (parfois un peu fade) que spectateur d’une vie extraordinaire… Le futur sera ce que tu en feras ! Bon courage pour la suite.
Zabellou:
j’ai bien aimé la réponse que tu as faite, (d’ailleurs je l’ai même gardé dans un coin de mon ordi où je mets des phrases ou des textes que j’aime)
Elle me fait penser à certains textes du slammeur “Grand Corps Malade” qui lui aussi dit que notre vie nous appartient et que nous en sommes les acteurs.
C’est super, non ?
Je suis tout à fait comme toi
j’ai cru me voir à travers ton texte : maghrébine de 33 ans. Je sais que j’ai un problème mais jamais été voir un psy pour en parler. J’essais de me guérir seule mais difficile difficile
Merci de ce message; je ne fonctionne pas ainsi mais il y a d’autres choses que j’ai envie de changer chez moi; bonne continuation en tous cas !!
Merci pour ce message, qui m’a permis de mettre des mots sur ce dont je souffre. Je suis également lycéenne, j’ai 17 ans et je vis de films et de livres. Certains d’entre eux me marquent tellement que je m’y sens parfois “plongée” pendant plusieurs semaines. C’est un concept assez difficile à expliquer, mais dès que j’ai un peu de temps libre, je m’enferme dans ma chambre, je commence à rêver et là, la magie opère : ma chambre disparaît et je me retrouve DANS le film, au premier plan, en général à la place de l’actrice (ou du personnage, dans le cas d’un livre), dans l’action, avec les personnages aussi charmants, forts et charismatiques que dans mes fantasmes, et c’est parti pour plusieurs heures de délire. Je cours, je me bats à l’épée, je fais des blagues complices, je me sors de situations délicates, j’aime je ris, bref, je VIS…
Jusqu’à ce que ma mère entre dans ma chambre en coup de vent, me faisant revenir à la réalité : “Mais enfin, t’es folle ? Pourquoi tu cours en rond comme ça ? ça fait un boucan pas possible !” . Et voilà. Pour moi, c’est ça la définition de la VRAIE vie. Difficile d’apprécier la mienne après ça. Et je peux dire que je vis à moitié dans les deux mondes, car dès que j’ai un moment de libre je m’y mets. Le matin avant d’aller à l’école, l’après-midi, le soir avant de me coucher. Et ça me rend malheureuse, vous ne pouvez pas savoir :'( (ou peut-être que si, mais je ne vous le souhaite pas)…
Et du coup bien sûr je ne profite pas de ma VRAIE vie. J’ai bien essayé, je me suis dit que j’allais me sociabiliser un peu, je suis allée à des soirées, en me disant que ce serait comme dans les films. Mais non. Trop pas. En fait, on y va avec deux-trois copines, on s’ennuie la moitié de la soirée, on transpire, il fait trop chaud, on danse comme des patates, et s’il y a par hasard un mec qui vient se coller sur toi et te lécher la tronche, c’est EN TOUT CAS PAS le prince charmant. Pourtant je ne suis pas spécialement laide (bon pas spécialement magnifique non plus), pas spécialement débile (ni spécialement intelligente), bref je n’ai aucun “statut”, en gros je n’ai rien de particulier, je suis “dans la moyenne” dans tous les domaines. Alors bonne chance pour se faire remarquer et se sentir “spéciale” dans cette situation :(. Je suis extrêmement sévère avec moi-même, et je me trouve toujours nulle.
Bon voilà, je suis désolée d’avoir rempli quasi un roman avec mes problèmes, et je sais que ce n’était peut-être pas l’endroit approprié, mais ça m’a fait énormément de bien de pouvoir partager ça, et surtout, de voir que je ne suis pas la seule dans ce cas.