« 5 heures du matâ jâai des frissons, je claque des dents, je monte le son : France Inter, vous Ă©coutez le 5/7. OĂč suis-je dĂ©jĂ Â ? Jâentends les Ă©boueurs. Il est 5 heures, Paris sâĂ©veille et depuis quelques mois, câest Ă Paris que je me rĂ©veille.
Il y a un peu plus de 15 ans mon mec Ă moi et moi on a parlĂ© dâaventures. Je lui ai dit, allons voir lĂ bas oĂč tout est rose et tout est sauvage. Il mâa rĂ©pondu, prends moi la main, viens danser et nous Ă©tions partis ensemble pour une drĂŽle de vie. Pendant 15 ans jâai Ă©coutĂ© la vie française en diffĂ©rĂ©. Les programmes du matin lâaprĂšs- midi ou le contraire. Un temps Ă lâest, un temps Ă lâouest. Trois continents et trois enfants plus tard je suis rentrĂ©e au village. Jâavoue que jâai trainĂ© des tongs quand on a pris la dĂ©cision de rentrer au bercail. JâĂ©tais comme un enfant, jâavais envie et pas envie. Câest bien la vie loin, on se sent diffĂ©rent. DiffĂ©rent lĂ -bas parce quâon est dâici et diffĂ©rent quand on revient ici de temps en temps, parce que justement on vit lĂ -bas. Jâavais la trouille de perdre mon exotisme et aussi un peu les jetons de ne plus me sentir chez moi. A force dâessayer de sâintĂ©grer ailleurs, on trahit forcĂ©ment un peu dâoĂč on vient. Paris allait-il me reconnaĂźtre ? Et moi est-ce que jâallais mây retrouver?
Ăa fait bientĂŽt un an que je me balade sur lâavenue. Oui, je suis dâici. Oui Paris mâa reconnue et notre amour est rĂ©ciproque.
Câest Ă Paris que je croise des amis dâenfance par hasard dans le mĂ©tro, Ă Paris que ma fille me parle dâun pote qui se trouve ĂȘtre le fils dâun garçon qui Ă©tait dans ma classe en troisiĂšme. Câest ici que je peux montrer Ă mes enfants les endroits cachĂ©s oĂč leur pĂšre et moi, Ă©tudiants, on se bĂ©cotait.
Jâai longtemps Ă©tĂ© une pierre qui roule… Je trouvais ça follement pratique cette vie dâerrance. Je pouvais me rĂ©inventer Ă chaque Ă©tape et je nâavais pas franchement besoin de mâengager, de toutes façons jâallais partir. LâannĂ©e derniĂšre, on sâest rĂ©uni en conseil familial et on a pris des billets retour. On a prĂ©parĂ© la rentrĂ©e au collĂšge français en regardant la boum et la boule au ventre on a emballĂ© la maison pour la 10Ăšme fois en 15 ans. On a beaucoup pleurĂ© dans les bras des amis pour la vie que nous avons semĂ©s comme des petits cailloux Ă travers le monde et enfin embarquĂ© pour de nouvelles aventures sur nos terres ancestrales. Jây vais mais jâai peur et pour avoir moins peur, jâai considĂ©rĂ© Paris comme une nouvelle destination exotique. AprĂšs tout, Ă chaque fois que je disais Ă mes amies autochtones que jâallais rentrer, leurs yeux brillaient : « Aaaaaah Pariiiiiis !!!!! » Si elles voyaient Paris comme ça, pourquoi pas moi ? Câest vrai que les touristes ne prennent pas souvent le RER A, mais « Paris oh la la » quand mĂȘme. Et mes amies de toute la vie, mes soeurs mâenvoyaient des messages avec des cĆurs qui disaient « jây crois pas, tu vas revenir ! ». Pour ça, je voulais bien prendre le RER A.
En 15 ans jâavais laissĂ© quelque part au dessus de lâatlantique mon armure de parisienne pressĂ©e et toujours lĂ©gĂšrement contrariĂ©e. Jâavais gagnĂ© lâindolence tropicale, Ă commencer par la dĂ©marche lente, le port altier et le sourire permanent. Passer plus de deux heures Ă la caisse dâun super marchĂ© rend patient et se confronter aux administrations les plus kafkaiennes du monde enseigne la tolĂ©rance et le pasito a pasito, suave suavecito.
Est ce que ma version de « la garota de Ipanema » a survĂ©cu au choc thermique ? Oui. On peut avoir froid dans les tongs, le soleil est dans le cĆur et la chaleur dans les gestes.
Je suis une parisienne transformĂ©e, modelĂ©e par lâailleurs. Parfois je marche comme une pâtite lady gare Saint Lazare, on dirait que le monde est Ă moi quand je me promĂšne. Dâautres fois, les soirs de pluie et de brouillard, jâai le regard baissĂ© sur le trottoir usĂ© et je me demande ce que jâai fait de ces annĂ©es. Mon CV est un gruyĂšre et mes enfants ne savent pas rĂ©pondre quand on leur demande ce que fait maman. Maman est dĂ©mĂ©nageur, psychologue, traductrice, Ă©lĂšve, prof, critique dâart, Ă©ditorialiste politique, artisan, princesse, DRH, danseuse, « operations manager » (la façon chic de dire que je suis lâintendance, celle de NapolĂ©on qui veut conquĂ©rir le monde, tâinquiĂšte pas chĂ©ri, lâintendance suivra et lâintendance câest moi).
Les clichĂ©s ont la peau dure et pour beaucoup, pour ceux qui ne savent pas, 15 ans sous le soleil câest 15 ans passĂ©s Ă se faire les ongles tout en se dorant la pilule. Par chance, la vie nous a promenĂ©s dans des endroits exotiques et ensoleillĂ©s. Mon mari nâest pas surfeur, mĂȘme sâil sent bon le sable chaud et je suis souvent obligĂ©e de sourire poliment quand on me lance « câĂ©tait bien la belle vie ? Peinard ? Ca doit te faire tout drĂŽle ce retour Ă la rĂ©alitĂ©Â ? »
Ma rĂ©alitĂ© lĂ bas, câest un paquet de mois passĂ©s Ă dĂ©tricoter le programme initial. Non, je ne travaille pas, oui je dĂ©pends financiĂšrement Ă 100% de mon mari, pas facile Ă assumer quand on a Ă©tĂ© Ă©levĂ©e pour ĂȘtre une working girl. Mais un jour, jâai rĂ©ussi Ă appuyer sur la touche âresetâ et intĂ©grĂ© cette nouvelle situation. Ce nâest pas parce que jâĂ©tais une housewife que je devais ĂȘtre desperate. Je nâaurai peut-ĂȘtre pas une grande carriĂšre, mais jâavais des annĂ©es dâavance sur le planning : jâavais LE TEMPS. La plus grande des richesses. Le temps de regarder mes enfants pousser et de voir les idĂ©es germer.  Jâai vĂ©cu 1000 vies. Aujourdâhui jâentame la mille et uniĂšme, sur lâavenue, le cĆur ouvert Ă lâinconnu et les lunettes de soleil vissĂ©es sur le nez comme ça je ne vois pas les nuages quand il y en a. Si un jour vous voyez au loin une fille qui marche lentement, en souriant bĂ©atement et en sâemplafonnant les lampadaires (parfois il y a quand mĂȘme beaucoup de nuages et je ne vois pas clair derriĂšre mes lunettes), vous saurez que câest moi. »